A la croisée de la biologie, de la biochimie, de l’électronique, de la mécanique des fluidiques et de la thermodynamique, de nouveaux outils se préparent. Ceux-ci viendront peut être trouver des applications dans les laboratoires de génomique mais au-delà de cette perspective, ils pourraient trouver des applications au niveau des professionnels de santé eux-mêmes avant d’être accessibles aux clients-patients-citoyens directement.
Les Lab-on-Chips (ou Laboratoire sur puce) sont un concept qui a émergé dans les années 90 et qui au sein des laboratoires de biologie moléculaire a trouvé une application largement répandue sous la forme des puces Agilent consommables pour BioAnalyzer. La technologie d’Agilent, basée sur une électrophorèse ou une cytométrie de flux microfluidique, offre un outil de contrôle de la quantité, qualité (distribution de taille, intégrité des ARNs extraits etc.) des molécules considérées. Même si les puces Agilent sont affublées du qualificatif de « Lab-on-Chip« , elles nécessitent un appareillage dédié et bien entendu un PC relié. L’outil est encore loin du modèle rêvé, c’est-à-dire complètement autonome (en une version « stand alone »).
L’émergence de ce type de laboratoires a été, en partie, permise grâce à des budgets alloués à la lutte contre le bioterrorisme. En effet, des laboratoires qui tiennent dans une poche de treillis, qui peuvent être employés sur n’importe quel théâtre d’opération, peuvent venir parfaire le paquetage des experts en sécurité intérieure. Les laboratoires Sandia (Sandia National Laboratories) font partie des principaux laboratoires nationaux du département de l’Énergie des États-Unis et sont des pionniers de ces applications avec les développements réalisés par MicroChemLab qui est actif depuis 1988 sur ce type de développements.
Aujourd’hui les laboratoires unipersonnels de diagnostic embarqués sont devenus très populaires, pour des applications liées à des analyses biochimiques. L’un des exemples les plus fameux concerne le BG-Star (Sanofi Diabète) permettant de réaliser en quelques secondes, très aisément, des lectures de glycémie. L’outil est basé sur le principe de l’électrochimie dynamique où une bandelette jetable accueille une goutte de sang qui vient activer une glucose oxydase.
Les avantages de ce type de technologies :
– Une faible consommation de volume de fluide, en raison des volumes internes faibles des puces, ce qui minimise la quantité de déchets, baisse des coûts des réactifs onéreux et surtout minimise la quantité nécessaire d’échantillon de départ
– Une rapidité d’exécution où l’efficacité des réactions biochimiques est permise par la miniaturisation de l’outil, en effet la taille du dispositif ne nécessite qu’une faible quantité d’énergie pour fonctionner
– Un meilleur contrôle du processus en raison d’une réponse rapide du système (par exemple, le contrôle thermique pour des réactions chimiques exothermiques)
– Une parallélisation massive due à la compacité, qui permet l’analyse à haut-débit
– Une réduction des coûts de fabrication, permettant une utilisation de puces jetables, un processus qui deviendra rentable s’il est fabriqué en masse
– Une plateforme plus sûre pour les produits chimiques, les études radioactives ou biologiques en raison de la grande intégration du système (souvent en système clos), des faibles quantités de réactifs et d’échantillons nécessaires
Les vertus de la miniaturisation ne nécessitent pas plus amples apologies ! Depuis quelques années l’idée d’un laboratoire qui tient au creux de la main a réellement commencé à voir le jour.
Des exemples de ces laboratoires portatifs commencent à poindre dans des versions de plus en plus intégrées.
Ainsi la technologie Mondrian développée par NuGEN, technologie basée sur de la microfluidique digitale, permet de simplifier les étapes de constitution de librairie de séquences haut-débit.
Destinagenomics propose un système analytique ne faisant pas intervenir d’enzymes. Ce système fait intervenir des sondes interrogatives de mutations que la société souhaite embarquer dans des puces : la preuve du concept a été publiée par Pernagallo et al. (Sensors (Basel). 2012).
http://youtu.be/k-NnBS2xDLo
Panasonic, le groupe japonais, numéro 4 mondial de l’électronique, en partenariat avec la société belge, Imec, propose d’embarquer dans une puce d’ 1 cm2 : une pompe permettant aux fluides de circuler, une unité d’extraction d’ADN à partir de la goutte de sang prélevée, un thermocycleur, une unité de purification de produits de PCR, et un système de détection de SNPs.
Le concept est séduisant, mais pour être viable et concurrencer les coûts de génotypages basse densité qui sont relativement bas (quelques euros / marqueur), les concepteurs des Laboratoires sur Puces misent donc sur une large diffusion de leur produit. Ainsi la production de masse impacte drastiquement le coût de production qui lui-même est impacté sur le prix vente… un prix de vente attractif et une simplicité d’utilisation qui dope les ventes… et donc fait baisser les coûts de production…
Le pari réside dans le fait d’amorcer ce cercle vertueux, en quelque sorte chaque opérateur du marché – au niveau d’une application donnée- souhaite assommer la concurrence ! Une course au développement est donc lancée.
Revenons à la science ! Vous trouverez ici le document pdf. présentant la technologie de Panasonic/Imec,
Concernant l’application de séquençage, Oxford Nanopore proposera une « clé USB » capable de séquencer, le Minion.
Dans le futur il est envisageable, d’imaginer un outil combinant la technologie de séquençage de 3ème génération, d’un Oxford Nanopore, par exemple, avec en amont un dispositif intégrant (à l’instar du projet de Panasonic), une micro-pompe, un réseau microfluidique permettant d’alimenter en échantillon et réactifs les différents éléments permettant une extraction d’ADN/ARN, la constitution d’une librairie, une purification…
Parle-t’on ici de science fiction ? Pour un début de réponse, il faut comprendre que séparément toutes ces solutions technologiques existent déjà.
Pour les plus férus de laboratoires miniaturisés, un journal scientifique est là pour eux, explicitement nommé : Lab on a Chip.
23andMe, comme Knome et Decode, est une société californienne de biotechnologie pionnière dans la génomique personnelle. La société a été lancée en 2006 par Anne Wojcicki, Linda Avey et Paul Cusenza sur la base d’un concept marketing simple et audacieux : mettre des tests génétiques à disposition du grand public en les vendant en direct sur une plateforme internet. Aujourd’hui la PME revendique 45 employés, 20 millions de USD et une omniprésence sur le web. Le modèle de développement de 23andMe passe par une exploitation judicieuse d’un site web, leur meilleur VRP. La photo du couple ci-dessus représente Anne Wojcicki, la co-fondatrice de 23andMe et Sergey Brin le co-fondateur avec Larry Page de Google, la société maîtresse du web. Google a d’ailleurs investi près de 4 millions de dollars dans la PME de Madame dès ses débuts en mai 2007. Notez qu’à l’époque le test génétique vendu par la toute jeune société de biotechnologie coûtait 999 USD (le prix aura donc été divisé par 10 en 5 ans). Pour la petite histoire, la mère de Sergey Brin est atteinte de la maladie de Parkinson, ce qui a incité le milliardaire à réaliser un test génétique en 2006, pour découvrir qu’il était porteur de la mutation du gène LRRK2. Ceci explique son intérêt pour les tests génomiques personnels.
Début 2013, le produit coûte : 99 USD auxquels il faut ajouter 79,95 USD pour les frais de port (ces frais limitent l’accès au vieux continent à 23andMe), la note se monte donc pour un Français à 137,70 € (mi 2011, le prix était de 200 €). Il est facile dorénavant de comprendre que, les volumes des puces Illumina grimpant, la part du coût allouée aux consommables a baissé, mais que la distribution web a ses limites… la poste.
Tests génomiques ?
Le test génétique que propose 23andMe permet :
– d’estimer les facteurs de risques d’être, un jour, atteint d’une maladie à composante majoritairement génétique
– d’estimer vos aptitudes physiques et intellectuelles (en présupposant que la variabilité génétique de ces traits contribue fortement auxdits traits estimés)
– de déterminer son origine géographique, ainsi que, pour le folklore, de quel personnage célèbre dont 23andMe possède le génotype, vous vous rapprochez le plus (sur le ce point lire notre article : A la recherche du chromosome perdu : aux sources des hominidés)
– enfin, 23andMe accumule des génotypages venant alimenter une base de données associée à une population de référence et ainsi accroître l’information génomique disponible pour d’éventuelles recherches (à mener par d’autres…), tout cela financé par les clients de 23andMe… il fallait y penser et oser, c’est chose faite !
Principe ?
Contrairement à un amalgame souvent rencontré, la société californienne n’utilise que très peu le séquençage pour son produit phare. Le principe réside dans l’extraction de l’ADN contenu dans les cellules de la salive, ADN qui fera l’objet d’un génotypage haut-débit permettant de cartographier le génome du client. 23andMe ne fait que compiler les données de GWAS (Genome Wide Association Studies), les études d’association publiées et agglomérées plus ou moins subtilement. Ce type d’études consiste en l’association de profils génétiques à des phénotypes caractérisés. En outre, 23andMe exploite la connaissance des marqueurs en Déséquilibre de Liaison avec une maladie ou une aptitude, le tout en concaténant l’information scientifique publique.
Des témoignages de clients pour en convaincre de nouveaux
Depuis le début 2013, plusieurs témoignages ont été utilisés par la presse pour décrire ce que proposait 23andMe, une publicité à moindre frais. Celui de Slate relate l’histoire de Jill Uchiyama, une personne qui a été adoptée à la naissance et qui à l’âge de 41 ans par l’intermédiaire des services proposés par 23ansMe a retrouvé quelques cousins plus ou moins proches (300 cousins) et en a rencontré un… un manière de recréer de simili-liens de sang. Un autre présent sur le site Quora.com témoigne du cas d’un père découvrant qu’il avait des risques de développer une intolérance au gluten alors que des praticiens ont perdu un temps infini à déterminer l’étiologie de la maladie cœliaque dont souffrait sa fille. Autant de témoignages de nature à convaincre de futurs clients !
Un accueil scientifique mitigé
Un premier article de Jane Kaye « The regulation of direct to consumer genetic tests » (Human Molecular Genetics, 2008), s’inquiète de la perte de contrôle des professionnels de santé, de l’évolution de la législation et de la confidentialité des données transitant par ces nouvelles sociétés de services. L’auteure appelle de ses vœux une régulation de cette « génomique récréative » où l’on peut partager sur les réseaux sociaux son potentiel génétique, ses risques de développer une maladie ou encore rechercher des « cousins » potentiels.
Deux ans après ce premier article, celui de Barbara Prainsack et Howard Wolinsky (Future Medicine, 2010) « Direct-to-consumer genome testing: opportunities for pharmacogenomics research ? » pondère le propos. Dans cet article, les auteurs ne s’inquiètent plus vraiment de l’existence d’un système divulguant des informations génomiques directement au consommateur sans passer par la case du prescripteur médical, mais s’interrogent sur les bénéfices que la recherche scientifique pourrait tirer de ces génotypages payés par les consommateurs eux-mêmes. Entrerait-on dans l’ère du libéralisme génomique ? L’article de Future Medicine développe l’aspect crowdsourcing (en français collaborat ou externalisation ouverte) en s’inquiétant légèrement tout de même d’un problème majeur : le respect de la vie privée…
Une inquiétude majeure
A une époque où des services étatiques développent des projets tels que PRISM, l’outil de surveillance du web utilisé par la NSA ou d’autres que la DGSE utiliserait, le consommateur de la génomique personnalisée pourrait et devrait s’inquiéter de la confidentialité des données génomiques le concernant. En effet, le web est le tuyau par lequel transite toutes les informations génomiques émanant des analyses de ces sociétés de service. La confidentialité des données semble être le nouveau frein au développement de ce type de marché.
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