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Tout commence ici par un film de piètre qualité (je ne crois pas qu’il en existe une version française), Who the #$&% Is Jackson Pollock ? Ce film retrace l’histoire d’une femme, Terri Horton, de 73 ans, ancienne conductrice de camion long courrier qui a acheté une toile dans un magasin d’aubaines pour 5 USD. Il s’avère que cette toile a été attribuée à Jackson Pollock et en demande 50 millions de USD. Le film dépeint les tentatives de Horton pour authentifier et vendre la peinture comme une œuvre originale de Pollock. Son authenticité est douteuse, car la peinture a été achetée dans un magasin d’aubaines, n’est pas signé, et est sans provenance. Le principal problème avec la peinture, c’est qu’elle « n’a pas l’âme d’un Pollock », selon les collectionneurs. En outre, Pollock avait de nombreux imitateurs de son vivant. C’est là qu’intervient un spécialiste en techniques légales d’authentification, iconoclaste et donc décrié, Peter Paul Biro. Un document pdf (disponible ici) reprend toute la palette mise à disposition de ce dernier pour permettre une authentification légale. Tout part d’une observation « microscopique » dont l’objectif est de rechercher des traces éventuelles de l’artiste (poils, cheveux, empreintes digitales etc.). Les pages 13 et 14 abordent la technique mise en œuvre.

Même si l’attribution d’un tableau à son auteur par l’intermédiaire de la caractérisation singulière de l’ADN de ce dernier restera anecdotique, le besoin d’identification et d’authentification peuvent être un marché potentiel pour des sociétés de biotechnologie.

Ce sujet avait été abordé dans notre article « l’ADN, nouveau support de l’information numérique » qui montrait l’utilisation faite de cette molécule en guise de code barre pour traquer les pétroliers dégazant le reliquat de leur cargaison (je serais curieux de connaître le nombre de capitaines mazouteurs confondus par cette méthode).

Ainsi, l’une de ces sociétés de biotechnologie, la société Applied DNA Sciences, Inc, propose des produits d’aide à l’identification et l’authentification. L’ADN devient un code barre censé être inviolable, un élément visant à protéger de la contrefaçon  des processeurs, des vêtements, des spiritueux. Une autre application vise à sécuriser les transferts de fonds (un nouveau moyen pour marquer et tenter de suivre les billets marqués).

Cette société surfant sur le besoin de sécurité et de dissuasion développe un spray fluorescent chargé en molécules d’ADN.  Mise en situation… Un voleur braque un bijoutier à l’aide d’une arme de poing (cf. schéma ci-dessous).

Le bijoutier a deux choix :

.  user de violence et de mesures coercitives pouvant flirter avec le délit

. oublier qu’un revolver est pointé sur lui, appuyer sur un bouton rouge qui asperge l’agresseur d’un spray fluorescent génétiquement marqué… prier pour que cela suffise à mettre en fuite le braqueur.

On l’aura compris, il ne s’agit pas là de l’idée du siècle. L’ADN est mis à toutes les sauces, de l’authentification à l’arme absolue de dissuasion pour tout braqueur effrayé par l’association d' »idées » : ADN + experts police + haute technologie = preuve = prison.

 

L’ADN comme moyen d’identifier l’auteur d’un tableau -comme quelque chose dans la continuité des empreintes digitales de Vinci laissées lors de son brillant sfumato– au molecular fingerprinting des peintres contemporains en passant par l’absurde spray anti-braqueur qui laisse esquisser un sourire moqueur, la molécule support de l’information génétique est d’ores et déjà la base d’un business associé au besoin d’authentification sans cesse plus important…

L’œuvre d’art contemporain fait débat et pour le mener à bien il semble toujours possible d’exhumer Duchamp ou bien encore de profiter des écrits d’un Yves Michaud. Humblement, cet article est une évocation de ce qui peut être qualifié d’art, simplement parce qu’il en porte le nom : le bio art.

Commençons par ce qui n’est pas du bio-art… l’art qui imite la nature (ou l’inverse).

Il est parfois délicat de qualifier les courants et orientations de l’art contemporain, il ne faut pas se méprendre : un arbuste taillé (même par un Edouard aux mains d’argent lui-même créature bio artistique) en forme de dinosaure par exemple ne bénéficierait pas de l’appellation de bio art, sinon que dire de la période art nouveau où la végétation des boiseries et ferronneries domestiquées par Victore Horta s’invitait en douces volutes dans les escaliers des maisons des années 1900. Ces derniers exemples nous placent toujours sous la sentence d’Aristote : l’art imite la nature.

Des artistes exploitent le vivant comme médium artistique mais plutôt dans un but contemplatif et du laisser faire, tel Michel Blazy et ses fameuses sculptures pourrissantes qui ont ravi ou dégoûté le public du palais de Tokyo en 2007.

Une des modalités du bio art consiste à exploiter les moyens analytiques scientifiques pour les ériger en œuvre d’art à part entière, en œuvres porteuses de sens, une forme de rencontre entre le numérique et l’organique. Jean Claude Ameisen avec une mise en parallèle d’une image tridimensionnelle d’un kyste de Pneumocystis carinii et du portrait tourmenté de Francis Bacon, nous propose une lecture ironique et lyrique en inversant les termes du dogme aristotélicien que l’art contemporain cherche à dépasser (ici la nature imite l’art).

Qu’est ce que le bio art…? Un art qui joue des oxymores en inventant une nature synthétique …

Le bio art (ou art biotech) est une forme de l’art contemporain qui modifie les processus de vie. Cette forme d’art utilise trois modalités possibles :

Le bio art cherche en grande partie à en créer une nouvelle (nature), telle un Monsanto de salon dirait ses détracteurs. L’art réalise la nature par l’intervention non divine de la science.

1) amener de la biomatière à des formes inertes ou à des comportements spécifiques. Beaucoup d’artistes travaillent sur la frontière entre naturel et artificiel, comme le mobile perpétuel à base photosynthétique d’Amy Franceschini et Michael Swaine.

2) détourner des outils et des processus biotechnologiques pour en réaliser une œuvre en soi (ou à soi…), ce point sera plus particulièrement abordé puisqu’il a trouvé une application commerciale.

3) inventer ou transformer des organismes vivants  sans réels objectifs scientifiques ou industriels.  Ainsi, Joe Davis, un artiste américain notamment affilié au MIT a encodé des textes en prenant les quatre bases A, T, G, C de l’ADN pour  réimplanter ceci dans des organismes vivants. Il a encodé par exemple un fragment génétique codant une phrase d’Héraclite –  » Le dieu dont l’oracle est à Delphes ne révèle pas, ne cache pas mais il signifie   » dans le gène d’une drosophile (gène responsable de la vue chez cette mouche, cette modification n’altère pas le phénotype de l’animal).

Cette dernière approche de transformation du vivant est la plus radicale et a pour objectif déclaré de susciter un débat que la bio-éthique mène depuis les années 60.

 

Une œuvre marquante, troublante et génétiquement gênante a été réalisée par Eduardo Kac avec son projet de lapine transgénique, vert fluorescente appelée « Alba« , ce projet a pu être mené à bien par des techniques transgéniques utilisées dans l’art. Ce lagomorphe chimérique rendu fluorescent grâce à un gène de méduse devait provoquer un débat sur le statut des animaux transgéniques (de la transgression à la transgénèse, en somme…)

Quelques groupes ont émergé pour pousser l’investigation bio-artistique. Parmi quelques groupes de recherche institutionnels, deux d’entre eux  symbiotica et bioteknica, réciproquement rattachés à l’université de Western Australia et à l’université de Québec à Montréal, proposent un grand nombre d’expositions et d’ouvrages plutôt bien accueillis par la communauté scientifique. Outre des biologistes et des plasticiens ce type de structures accueille des philosophes, sociologues et anthropologues afin de permettre l’analyse des interactions entre les biotechnologies et la société, entre l’art et la biologie, l’Homme et son environnement…

L’innovation et la recherche du spectaculaire qui a aussi cours dans le monde des sciences et notamment dans le monde de biologie cellulaire et moléculaire (dont rappelons le, grand nombre de techniques cherchent à montrer de manière indirecte ce qui demeure invisible) devient un médium que le bio art exploite pour des fins tant esthétiques qu’égotistiques. En effet, au carrefour entre le bio art, la biologie moléculaire et Ikea, ont fleuri des marchants d’œuvre d’art relativement bon marché proposant votre propre emprunte ADN (détournant ainsi les techniques de « fingerprinting » moléculaire) imprimée qui deviendra ornement d’intérieur, un vernis commercial transformant le bio art en « ego art ».

Ainsi se sont développées sur internet des sociétés (telle que la société DNA 11, par exemple) proposant de mettre en œuvre ce type de techniques qui désertent les laboratoires pour se banaliser dans un champ d’application inattendu.

 

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