Comment réagiriez vous si l’on vous « offrait » votre génotypage complet, ouvrant la possibilité de prédire d’éventuelles maladies, réactions à certains médicaments etc. ? Certes, dans le cas de l’Estonie (contrairement à ce que propose des sociétés privées telles 23andMe) il s’agit d’une démarche s’inscrivant en santé publique pour le meilleur du bien public et non pour le pire du bien privé… Néanmoins, l’ampleur de la cohorte humaine visée n’est pas sans poser des questions.
L’Estonie a lancé un programme visant à recruter et à génotyper 100.000 nouveaux participants à la biobanque (pour une population nationale totale de 1,316 million de citoyens estoniens !) dans le cadre de son programme national de médecine personnalisée. Cette biobanque comportait déjà 50.000 génotypes de citoyens estoniens. Le gouvernement veut développer un système de soins de santé en offrant à un maximum de ses résidents un génotypage scannant le génome qui sera traduit en rapports personnalisés. Ce rapport serait intégré à la pratique médicale quotidienne par l’entremise du portail national de cybersanté.
Cette biobanque a été initiée à trois fins (Leitsalu et al., International Journal of Epidemiology, 2015) :
- promouvoir le développement de la recherche génétique ;
- recueillir des informations sur l’état de santé de la population estonienne, ainsi que des informations génétiques
- utiliser les résultats de la recherche génétique pour améliorer la santé publique.
Au sein de l’article de Leitsalu et al., les auteurs abordent les forces et faiblesses de leur entreprise :
La principale force de la Biobanque estonienne consiste au fait qu’il s’agit d’une biobanque basée sur la population avec une base de données longitudinales et prospectives. Cela signifie qu’un large éventail de groupes d’âge et de phénotypes sont représentés. Alors que les populations urbaines ont généralement tendance à être surreprésentées, ce n’est pas le cas pour la cohorte de la Biobanque estonienne. La biobanque dispose d’ADN, de plasma et de globules blancs pour chaque donneur. Cela signifie qu’il est possible d’analyser les effets directs des variants de séquence sur le métabolisme. De plus, il est possible de transformer les cellules en lignées cellulaires ou en cellules souches pluripotentes induites (iPS) et de réaliser directement des expériences de biologie moléculaire ou de génétique. Une autre force est fournie par la HGRA (the Estonian Human Genes Research Act) ainsi que par le formulaire de consentement général qui permet de participer à un large éventail de projets de recherche sans avoir à communiquer de nouveau et à demander un nouveau consentement. La HGRA et le formulaire de consentement permettent également aux donneurs de demander la divulgation de leurs données génétiques, de leurs caractéristiques héréditaires et des risques génétiques obtenus à partir de la recherche génétique menée. Cela permettrait à terme de mener des projets sur les tests du génome personnel, la perception des risques et la gestion des risques en milieu industriel.
De plus, la HGRA permet à la Biobanque d’obtenir des renseignements supplémentaires en reliant les dossiers aux registres électroniques nationaux et aux principaux hôpitaux. Tous les registres sont reliés de façon centralisée par une infrastructure technique à l’échelle nationale qui permet l’échange sécurisé de données entre les bases de données. La HGRA a également imposé des restrictions sur les activités de l’EGCUT (Estonian Genome Center of the University of Tartu) et les données collectées dans la Biobanque estonienne. La participation devait être entièrement volontaire – seules les personnes intéressées pour rejoindre la Biobanque estonienne, après en avoir entendu parler soit lors d’événements promotionnels spéciaux, soit par les médias, soit par des amis, soit au cabinet du médecin de famille ou à l’hôpital, sont recrutées. L’EGCUT n’a pas été autorisé à envoyer les lettres d’invitation à leur adresse domiciliaire. Par conséquent, la biobanque ne représente pas un échantillon aléatoire classique et pourrait être sujette à un biais de recrutement. Une proportion considérable de la population recrutée pourrait toutefois compenser ce biais. Par conséquent, bien qu’elle ne soit pas aléatoire sur le plan classique, la cohorte peut quand même être considérée comme représentative de la population. Bien que le recrutement était ouvert à tous, il y a une disproportion d’Estoniens ethniques et de Russes ethniques dans la biobanque, les Estoniens étant surreprésentés (81% dans la biobanque contre 70% dans la population générale) et les Russes sous-représentés (16% dans la biobanque contre 25% dans la population générale). Une autre faiblesse est la profondeur limitée de certains sous-questionnaires. Par exemple, un questionnaire relativement bref sur la fréquence des aliments a été administré sans information détaillée sur l’apport en énergie ou en nutriments ; les mesures des traits glycémiques à jeun, comme le niveau d’insuline, ne sont disponibles que pour un nombre limité d’échantillons. La profondeur limitée des données recueillies peut parfois limiter le nombre de projets dans lesquels les données peuvent être utilisées. Toutefois, des questionnaires plus complets auraient exigé des durées d’entrevue encore plus longues et auraient coûté beaucoup plus cher, ce qui aurait pu entraîner une réduction de la taille de la cohorte.
Le pays dispose de nombreuses solutions numériques sécurisées incorporées dans les fonctions gouvernementales qui relient les diverses bases de données du pays par des voies cryptées de bout en bout. Un site Web a été créé dans le cadre du projet, afin que les Estoniens puissent se porter volontaires et donner leur consentement à être génotypés. La génération des données est assurée par l’institut de génomique de l’Université de Tartu (aujourd’hui les 50.000 premiers génotypages ont été réalisés et analysés, les 100.000 pousseront à une population estonienne à 10 % génotypée)
Les efforts internationaux ont permis d’identifier des milliers d’associations entre les variants génétiques et les maladies, ou traits génétiques, et de créer des cartes des variations uniques au sein des populations.
« Aujourd’hui, nous avons suffisamment de connaissances sur le risque génétique des maladies complexes et la variabilité interindividuelle des effets des médicaments pour commencer à utiliser systématiquement ces informations dans les soins de santé au quotidien « , a déclaré Jevgeni Ossinovski, ministre de la Santé et du Travail. « En coopération avec l’Institut national pour le développement de la santé et l’Université de Tartu, nous allons permettre à 100.000 autres personnes de rejoindre la biobanque estonienne, afin de stimuler le développement de la médecine personnalisée en Estonie et de contribuer ainsi à l’avancement des soins de santé préventifs. «
Le gouvernement estonien a alloué 5 millions d’euros au programme au cours de l’année 2018. Le projet sera coordonné par l’Institut national pour le développement de la santé, dont la tâche est d’élaborer et de mettre en œuvre des procédures et des principes pour la mise en œuvre efficace de la recherche scientifique dans la pratique médicale.
Andres Metspalu, directeur du Centre estonien du génome à l’Université de Tartu, se félicite de l’initiative du ministère des Affaires sociales d’augmenter le nombre de participants à la biobanque. « Nous sommes heureux qu’avec le soutien de ce projet, les résultats des travaux à long terme du centre de génomique seront transférés en médecine pratique et donneront un nouvel élan à nos recherches futures. L’Université contribuera également à la création d’un système de rétroaction pour les participants de la biobanque, et à la formation des professionnels de la santé pour qu’ils puissent donner aux patients une rétroaction fondée sur l’information génétique« .
Le projet sera mis en œuvre sur la base de la loi estonienne sur la recherche sur les gènes humains et du même formulaire de consentement général qui a été utilisé pour les 50.000 premiers participants. Le prélèvement officiel d’échantillons a débuté le 2 avril 2018. A voir si l’expérience relativement pionnière ,à cette échelle, menée en Estonie, fera école ou tâche d’huile dans d’autres pays de l’Union Européenne !
Qui sommes nous?
Christophe Audebert [@]
En charge de la plateforme génomique du département recherche et développement de la société Gènes Diffusion .
Renaud Blervaque [@]
Biologiste moléculaire, chargé d'études génomiques.
Gaël Even [@]
Responsable bioinformatique au sein du département recherche et développement de la société Gènes Diffusion.Catégories
- Analyse de données (14)
- Automatisation (5)
- Bioinformatique (27)
- Biologie (56)
- biologie transverse (35)
- Biotechnologie (30)
- Chronique littéraire (8)
- Comparatif (6)
- Diagnostic (8)
- Economie (17)
- Epidemiologie (2)
- Evénement (17)
- Formation (3)
- Gestion de projet (5)
- Grille de calcul (1)
- Intégration (5)
- Logiciels (8)
- Médecine (14)
- politique de la recherche (17)
- Recherche (21)
- Séquençage (70)
- Séquenceur (39)
- Uncategorized (25)
- Workflow (4)
Accès rapide aux articles
- Covid-19 : zoom sur les vaccins
- Comment l’ADN pourrait être le stockage de données du futur
- COVID-19 : la data visualisation au service de la science
- COVID-19 : des explications et un point d’étape au 20 février 2020
- Pour mettre du vin dans son eau
- Des petits trous, toujours des petits trous…
- Qui serait candidat ?
- Un robot pour analyser vos données…
- Monde de dingue(s)
- L’art et la manière de développer une qPCR
- Un MOOC Coursera sur le WGS bactérien
- Chercheurs & enseignants-chercheurs, l’art du multitâche.
- Un jeu de données métagénomiques
- Facteur d’impact
- Microbiote & smart city : juxtaposition de tendances
Accès mensuels
- février 2021 (1)
- décembre 2020 (1)
- février 2020 (2)
- septembre 2019 (1)
- avril 2018 (2)
- décembre 2017 (1)
- novembre 2017 (2)
- juillet 2017 (2)
- juin 2017 (5)
- mai 2017 (4)
- avril 2017 (3)
- mars 2017 (1)
- janvier 2017 (2)
- décembre 2016 (3)
- novembre 2016 (4)
- octobre 2016 (2)
- septembre 2016 (2)
- août 2016 (3)
- juillet 2016 (2)
- juin 2016 (4)
- mai 2016 (3)
- mars 2016 (1)
- novembre 2015 (2)
- avril 2015 (1)
- novembre 2014 (1)
- septembre 2014 (1)
- juillet 2014 (1)
- juin 2014 (1)
- mai 2014 (1)
- avril 2014 (1)
- mars 2014 (1)
- février 2014 (3)
- janvier 2014 (1)
- décembre 2013 (5)
- novembre 2013 (2)
- octobre 2013 (2)
- septembre 2013 (1)
- juillet 2013 (2)
- juin 2013 (2)
- mai 2013 (4)
- avril 2013 (2)
- mars 2013 (1)
- février 2013 (3)
- janvier 2013 (2)
- décembre 2012 (2)
- novembre 2012 (2)
- octobre 2012 (2)
- septembre 2012 (2)
- août 2012 (1)
- juillet 2012 (3)
- juin 2012 (5)
- mai 2012 (5)
- avril 2012 (6)
- mars 2012 (6)
- février 2012 (8)
- janvier 2012 (6)
- décembre 2011 (5)
- novembre 2011 (6)
- octobre 2011 (6)
- septembre 2011 (7)
- août 2011 (5)
- juillet 2011 (8)
Pages