Les scientifiques seraient ils des parangons de vertu ? Comment et pourquoi les imposteurs travestissent la vérité en la parfumant de sciences et de techno-science ? C’est à ces questions que répond clairement Michel de Pracontal dans un ouvrage (ici ré-édité) publié, pour la première fois, il y a plus de 20 ans. Dans sa version de 2001, en quelques 332 pages le journaliste scientifique oeuvrant pour le Nouvel Observateur et Mediapart (son blog est totalement recommandable) réalise un manuel de référence pour tout zététicien qui se respecte. Certes, ce manuel abordant Rika Zaraï, l’astrologie, l’homéopathie, l’affaire Baltimore, les oeuvres de moult scientifiques peu vertueux inventeurs de données frelatées tel un Cyril Burt, d’ imposteurs en herbe et de gourous scientistes avides, est parsemé d’humour grinçant, sardonique mais il est avant tout, même avec quelques maladresses, une ode à l’esprit critique utile à tous. Le livre est structuré en manuel avec un exercice en fin de chapitre permettant d’aiguiser son esprit critique et de se détacher de l’autorité scientifique qui va de soi… Les cas abordés sont pléthoriques, couvrent tout le spectre de l’escroquerie intellectuelle et scientifique… le lecteur peut être troublé ou amusé de voir mis sur le même plan l’astrologue et le physicien peu scrupuleux. Or l’origine de la fraude et la manière dont elle est crédibilisée ne sont pas les mêmes… le profane peut s’y perdre un peu.
Voici le quatrième de couverture : « Plus de 50 % des Français croient à la transmission de pensée et à la guérison par magnétiseur, près de la moitié fait confiance à l’astrologie, 35 % aux rêves prémonitoires. De l’horoscope sur Internet au phénomène « X-Files », de la mémoire de l’eau aux « paramédecines », de la réincarnation aux « expériences NDE », la patrie de Descartes se passionne plus que jamais pour l’irrationnel. Le progrès des sciences et des techniques s’accompagne d’un essor des pseudo-sciences et des fraudes scientifiques. Des savants renommés accréditent la téléportation et le voyage dans le temps. Des autodidactes inventifs proposent des théories « alternatives » à celles de Darwin et d’Einstein.
Loin d’être marginale, l’imposture scientifique est devenue une nouvelle norme intellectuelle. Baigné d’ondes positives, planant au-dessus des basses arguties de la raison, l’homme nouveau du xxte siècle goûtera-t-il le vrai bonheur ? Pour s’y préparer, voici l’indispensable manuel du pipeau et de la baliverne. Cet ouvrage vivant et didactique remet (totalement) à jour sa première édition, publiée en 1986. L’honnête citoyen comme l’apprenti charlatan y trouveront tous les conseils utiles, illustrés d’exemples concrets et d’anecdotes captivantes.
Le lecteur s’instruira en s’amusant, et apprendra comment départager le vrai du faux dans une culture surmédiatisée, régie par la dictature du marché et de l’audimat. Quand l’impact du message finit par l’emporter sur son contenu, le réel s’affaiblit. L’univers orwellien de 1984, où le charbon est blanc et où deux et deux font cinq, a cessé d’être une pure fiction. Contre un tel danger, la dernière arme est peut-être l’humour
Michel de Pracontal, 46 ans, est titulaire dune maîtrise de mathématiques et d’un doctorat en sciences de l’information sur la vulgarisation scientifique. Journaliste scientifique depuis vingt-deux ans (depuis 1990 au Nouvel Observateur), il est l’auteur de Les Mystères de la mémoire de l’eau (La Découverte, 1990) et de La Guerre du tabac (Fayard, 1998). » (table des matières).
Ce manuel est à placer entre le « petit cours d’autodéfense intellectuelle » de Normand Baillargeon et « gourous, sorciers et savants » de Henri Broch, deux ouvrages qui feront l’objet de chroniques futures.
De retour sur les chemins de traverses pour aborder un sujet qui est finalement assez peu développé dans le monde scientifique latin : la fraude (le puritanisme anglo-saxon oblige à s’intéresser de près à tout manquement à la morale…scientifique). Evidemment il semble utile de définir les contours de ce qui est considéré comme une fraude scientifique. Le chercheur dans le champ scientifique est en quête de vérité en vue de permettre une accumulation de savoir fiable disponible pour l’ensemble de la communauté humaine. Tout manquement (volontaire ?) à l’obligation de loyauté face à la vérité scientifique peut être considéré comme frauduleux. Ainsi, ces fraudes majeures peuvent être classées en trois grandes catégories :
– la fabrication de données
– la falsification de données
– le plagiat
Ces catégories constituent la zone « noire », avec une prévalence certainement faible, un grand nombre de faits peuvent quant à eux, être plus difficiles à classifier et caractériser, c’est ce que l’on classe dans la zone « grise ». A titre d’exemples, les publications « salami », les co-signatures honorifiques, les soumissions multiples semblent quant à eux des actes beaucoup plus fréquents.
Il existe assez peu d’études descriptives et analytiques sur la thématique de la fraude scientifique. Martinson et al. (Nature, 2005) est une des rares études interrogeant un nombre significatif de chercheurs (distinguant les jeunes chercheurs des chercheurs confirmés). Avec cette publication que nous vous laissons le soin de lire, se trouve légèrement étendue la notion de fraude scientifique. Ainsi tombe sous la qualification de comportement frauduleux, les faits et actes suivants :
– la falsification de données
– l’ignorance des principaux aspects liés à la vie humaine (définition un peu floue)
– la non divulgation des conséquences liées à la recherche privée en lien avec un produit commercial(isable)
– les éventuelles connivences entre étudiants, sujets de recherche ou client
– l’utilisation d’idées qui ne sont pas de soi sans en avoir obtenu la permission ou sans nommer la paternité de celles-ci
– l’utilisation non autorisée d’informations confidentielles dans le cadre de ses propres recherches
– omettre de présenter des données qui contredisent ses propres recherches antérieures
– contourner certains aspects mineurs des exigences liées à l’homme comme sujet d’étude
– la surabondance d’utilisation de données erronées ou d’interprétations douteuses de données
– la modification de la conception, de la méthodologie ou des résultats d’une étude en réponse à la pression provenant d’une source de financement
– éditer les mêmes données ou les mêmes résultats dans deux ou plusieurs publications
– la rétention d’informations (particulièrement concernant l’aspect méthodologique d’une publication)
– omettre les observations ou les points de données paraissant de prime abord fallacieux (cela simplifie la démonstration finalement)
– la tenue inadéquate des dossiers relatifs aux projets de recherche (le cahier de laboratoire comme « un excellent atout juridique pour prouver une antériorité voire être une très bonne base pour la rédaction d’un brevet »)
Avant Martinson, Larivée et Baruffaldi (1993) et Swazey (1993) ont décrit, étudié et calculé des prévalences de cas de fraudes scientifiques. Larivée après avoir étudié 1000 articles de cinq grands domaines scientifiques (sciences de la terre, sciences pures, sciences humaines,sciences de la vie et sciences de la santé) détecte 230 cas de fraudes (rien que ça).
Il est temps d’aborder brièvement les raisons pour lesquelles le cherche se corrompt en flirtant avec la fraude : pression, compétitivité, besoin de performance (finalement les mêmes raisons qui poussent un cycliste à prendre des substances améliorant ses performances).
Quelques articles font état de l’exception française concernant la fraude scientifique. Souvent, dans notre pays ce problème donne lieu à des bafouilles peu audibles, peu étayées… un exemple de cet état de fait peut être porté par le document sonore d’une intervention d’Alain Prochiantz au Collège de France (autant demander à un cyclisme de faire une conférence sur le dopage).
Les exemples de fraudes scientifiques sont malgré tout à la fois légions, les exemples de collusions aussi. Quelques articles aux graphes repris de multiples fois (l’un des plus utilisé est présenté ci-contre) tendent à démontrer que le nombre d’article retirés explose sans réellement chercher à comprendre si ceux-ci sont retirés du fait de l’efficacité de la censure des comités de lecture ou si les chercheurs fraudeurs amateurs sont de plus nombreux à éprouver le système…
Les études où les conclusions sont dictées par l’inclination d’un chercheur pour son financier sont très fréquentes dans la littérature et certainement sur-représentées sur internet (nous pouvons exhumer l’article de Nature de 1988, Human basophil degranulation triggered by very dilute antiserum against IgE (abusivement associée à « la mémoire de l’eau » cet article d’un chercheur financé par Boiron, crédite en partie le modèle de dilution pratiquée en homéopathie).
Les chartes d’éthique telles que celle de l’Institut Pasteur à Paris constituent un garde-fou nécessaire mais insuffisant. En effet, ce type de chartes sont incitatives rarement coercitives. Finalement, face à la possibilité de tricher avec la vérité, le chercheur est face à sa conscience.
La fraude scientifique peut avoir des conséquences directes, en effet, la réputation des chercheurs porteurs d’un projet est en lien direct pour les bailleurs de fonds (particulièrement pour ce qui concerne les fonds publics) avec la qualité de leur propre recherche. Le plus grave sont les conséquences de la fraude sur la science elle-même, l’exemple cité par Serge Larivée est relativement saisissant : « la fraude peut en outre affecter le travail d’autres chercheurs qui auraient construit tout un corpus de connaissances à partir de données frauduleuses. Le cas relativement récent de Gupta est à cet égard exemplaire. Avec 124 autres chercheurs, ce paléontologue de l’Université de Chandigarh, au Penjab, a publié de 1969 à 1988 près de 450 articles sur l’étude des fossiles de l’Himalaya, dont 300 sont soit truffés d’anomalies et d’invraisemblances, soit de pures fictions. Certains soutiennent que cette fraude porte peu à conséquence dans la mesure où la plupart des géologues spécialistes de l’Himalaya ne tenaient plus compte des publications de Gupta depuis belle lurette. Par contre, les chercheurs qui avaient intégré de bonne foi les «découvertes» de Gupta dans leur corpus de connaissances ont été lourdement escroqués puisqu’ils sont maintenant en possession de données inutilisables. » Bien évidemment, une autre conséquence de ce type de fraudes, trouvant échos à raison dans les médias, ont des conséquence sur la santé humaine. Imaginons (toute ressemblance avec un épisode faisant intervenir un médicament du laboratoire Servier est fortuite) que des scientifiques soient amenés à cautionner frauduleusement un médicament en masquant la toxicité d’une molécule… imaginons que des études sur l’incidence des ondes émanant de téléphones sur la santé humaine soient financées par un fabriquant de téléphones portables (à ce jour une dizaine d’études de ce type sont recensées)… le conflit d’intérêt étant bien entendu au cœur de nombreuses fraudes de grande ampleur.
Le scientifique face à ce type de choix : négocier sa carrière ou atteindre la vérité (ce pourquoi il fait ce métier) peut se corrompre en oubliant que l’on ne négocie pas avec la vérité qui a une exigence de sincérité. L’exigence prime sur l’excellence !
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